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Vol. 18 - Décembre 2008 - N° 4
Progrès en Urologie - FMC
Relations entre os et lithiase : quelle exploration et que retenir ?
Relationships between bone and stones:
which investigation and which data are relevant?
Résumé
Une diminution de la densité osseuse et une augmentation de la prévalence de fractures osseuses dans la population lithiasique ont été démontrées suggérant un lien entre le processus de minérali-sation du calcul et de déminéralisation de l’os (qui prédomine au niveau du rachis). L’objet de cette revue est d’analyser les diffé-rents facteurs de risque associés à une ostéopénie et notamment l’hypercalciurie spécifique à cette population, afin de mieux cer-ner les explications possibles de cette déminéralisation. En effet, il semble utile d’identifier au sein des patients lithiasiques, une population particulièrement à risque de fracture dans le but d’une prévention primaire ou secondaire efficace. Des études cliniques sont nécessaires pour répondre à cette question.Mots-clés : Lithiase, ostéopénie, hypercalciurie.
Abstract
Decreased bone mineral density and increased prevalence of bone frac-tures have been found in patients with renal stone disease suggesting a strong link between renal stone mineralization and bone demineraliza-tion. The focus of our review is to analyse the specific risk factors associ-ated with osteopenia encountered in renal stone patients notheworthy hypercalciuria. Indeed, t he ident ificat ion and t hus t he recognit ion in daily practice among this population of patients at high fracture risk would imply further examination and a rheumatological follow up. Stud-ies are warranted to aim this important issue.
Key-words: Renal st one, decreased bone mineral densit y, hypercal-ciuria.
Jean-Philippe Haymann Service d’explorations fonctionnelles multidisciplinaires,
H?pital T enon (AP-HP), Paris.
Maladie lithiasique et fractures osseuses
La notion d’une déminéralisation chez les patients lithiasiques est une donnée démontrée de fa?on concordante dans de nombreuses publications depuis les années 1980. En ce qui concerne les fractures osseu-ses, une étude nord américaine rétrospec-tive portant sur 624 patients lithiasiques a montré une incidence de fracture verté-brale quatre fois supérieure à la fréquence observée dans la population générale [1], et ceci indépendamment des facteurs de
?
AVIS D’EXPERT
Correspondance :
Jean-Philippe Haymann
Service d’explorations fonctionnelles multidisciplinaires H?pital T enon 4, rue de la Chine 75970 Paris cedex 20
jean-philippe.haymann@tnn.aphp.fr
risques habituels tels que l’age ou la prise prolongée de cortico?des. Cette étude qui a porté sur des patients lithiasiques suivis entre 1950 et 1974 a recensé un total de 122 fractures avec un risque augmentant de 16 % à 33 % respectivement après 20 et 30 ans de suivi. L’incidence habituellement plus élevée des fractures chez les femmes a été retrouvée également dans cette étude, cependant le risque est multiplié par qua-tre également chez les hommes lithiasiques (par rapport à la population générale de sexe masculin apparié pour l’age) et cette donnée mérite toute notre attention.
Relations entre os et lithiase : quelle exploration et que retenir ?
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Maladie lithiasique
et déminéralisation osseuse : quel os ?
Il existe deux catégories d’os : l’os spon-gieux qui se renouvelle vite (de l’ordre de 30 % par an) constitue l’essentiel des os du rachis ; l’os cortical dont le remodelage est lent (de l’ordre de 5 % par an) constitue majoritairement certains os longs comme le radius*. L’ostéopénie constatée par ostéodensitométrie dans de nombreuses études [revue dans 2] concerne majoritai-rement le rachis et est donc cohérente avec la fréquence accrue de fractures du rachis observées dans l’étude de Melton [1].
Mécanismes de l’ostéopénie chez le patient lithiasique
L’intensité de la maladie lithiasique ne sem-ble pas constituer un facteur de risque de fracture [1]. Alors qu’une maladie lithia-sique en rapport avec une hyperuricémie ou une maladie goutteuse semble ne pas représenter de facteur de risque d’ostéo-pénie, la présence d’une hypercalciurie** para?t déterminante.
L’hypercalciurie
Origine osseuse ?
L’abondance de calcium dans les urines correspond intuitivement à une image en miroir de ce qui se passe au niveau de l’os (principal stock de calcium de l’organisme), à savoir un flux osseux sortant de calcium expliquant à long terme une ostéopénie. Si ce raisonnement para?t opérationnel dans le cas de patients ayant une hyper-parathyro?die primaire, ou une ostéopo-rose quelle qu’en soit la cause (primitive, hyperthyro?die, hypercorticisme, carence en ?strogène…), il est en fait inexact ! En effet, à l’équilibre, le flux osseux est nul :
la quantité de calcium qui sort des os cor-
respond à la quantité de calcium qui rentre
dans les os soit environ 7 mmol/j. Or un
flux osseux sortant de calcium quasi exclu-
sif est très rarement observé en clinique.
Il s’en suit que les hypercalciuries peuvent
donc provenir pour partie d’une déminéra-
lisation osseuse en cours qu’il convient de
diagnostiquer mais sont obligatoirement le
reflet d’une augmentation de l’absorption
digestive du calcium…
Origine intestinale ou rénale ?
Le problème réside dans l’étiologie de cette
hyperabsorption (HA) : primitive ou secon-
daire ? Les HA primitives (? isolées ?) sont
probablement beaucoup plus rares qu’envi-
sagé initialement [3] et peuvent être expli-
quées par des modifications hormonales
chez la femme (grossesse, traitement par
?strogène, alimentation riche en soja…).
La majorité des HA seraient alors secon-
daires (ou associées) soit à une fuite rénale
de calcium (tubulopathies, prises médica-
menteuses, apports sodés ou en protéines
animales excessifs…), soit à un trouble de
la régulation de la calcémie (hyperpara-
thyro?dies primaires, excès de calcitriol :
exogène, sarco?dose…). La présence d’une
hypercalciurie dépend donc, quelle que
soit l’étiologie, d’un apport alimentaire
de calcium ? minimum ? mais dans le cas
des HA secondaires, l’hypercalciurie serait
alors le ? prix à payer ? pour obtenir un
bilan entrée-sortie de calcium nul. Chez
ces patients, la réduction des apports en
calcium serait alors la fa?on la plus s?re de
favoriser ou d’aggraver une ostéopénie (par
une négativation du bilan entrée-sortie de
calcium).
Un régime inadapté :
la restriction en calcium
Les apports quotidiens recommandés en
calcium sont de l’ordre de 800 mg à 1 g/
jour chez l’adulte et sont de 1,5 g/jour chez
la femme ménopausée. D’après ce qui pré-
cède, la réduction de ces apports s’il existe
une HA secondaire chez un patient lithia-
sique est potentiellement dangereuse. En
effet, les recommandations de régime pau-
vre en calcium préconisées à tort pendant
plusieurs décennies sont peut-être une des
causes de la prévalence élevée d’ostéopé-
nie et de fracture vertébrales rapportées…
La recommandation d’un laitage par repas
semble donc actuellement ? raisonnable ?
pour préserver le capital osseux et indis-
cutable pour réduire le risque de récidive
de lithiase depuis la publication de Borghi
et al. [4] qui ont montré qu’un régime ali-
mentaire < 8 g/j de sodium et < 1 g/j de
protéines animales était plus efficace sur le
risque de récidive lithiasique qu’un régime
alimentaire pauvre en calcium.
Apport du modèle des rats
lithiasiques hypercalciuriques
L’établissement d’une souche de rats sélec-
tionnés sur leur niveau d’hypercalciurie sur
plus de 70 générations a permis de retrou-
ver la plupart des phénotypes observés
chez l’homme. Il existe en effet chez ces
animaux des calculs rénaux, une hyper-
calciurie très importante, une HA et une
résorption osseuse augmentée.
r La nature des calculs dépend de l’ali-
mentation : ainsi un régime alimentaire
? normal ? pour le rat contenant 1,2 % de
calcium contribuera à la formation exclu-
sive de calculs d’apatite alors que l’ajout
d’hydroxyproline à 5 % dans l’alimentation
sera responsable de calculs d’oxalates de
calcium [5].
r L’hyperabsorption intestinale du calcium,
le défaut de réabsorption tubulaire rénal du
calcium et l’augmentation de la résorption
osseuse seraient expliqués par une aug-
mentation du nombre de récepteurs de la
vitamine D respectivement au niveau de
l’intestin des reins et des os. Une augmen-
tation du calcitriol chez ces animaux a donc
des effets favorisant une hypercalciurie et
une résorption osseuse.
* Le col fémoral a la particularité d’être composé de
50 % d’os cortical et 50 % d’os spongieux.
** Affirmées à partir d’un recueil des urines de 24 heu-
res pour des valeurs supérieures à 0,1 mmol/kg/j (soit
environ 250 mg/j et 300 mg/j chez la femme et l’homme
respectivement).
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La résorption osseuse est importante chez ces animaux : au cours d’un régime pauvre en calcium, un traitement par biphospho-nates diminue significativement la calciurie uniquement chez ces rats et reste sans effet chez les rats contr?les.
Quelle exploration ?
Quel bilan ?
La maladie lithiasique nécessite probable-ment une prise en charge multidisciplinaire urologique, néphrologique et rhumatolo-gique pour certains patients. Un bilan biologique sanguin et urinaire ? stan-dard ? (bilan préconisé par le CLAFU) semble utile pour tout patient lithiasique (tableau I).
Quelle prise en charge ?
r La prise en charge néphrologique semble nécessaire chez certains patients : sujets jeunes, néphrocalcinose, activité lithiasique intense, anomalies biologiques…
La réalisation (dans un service d’explora-tions fonctionnelles) d’un test de charge en calcium (test de Pak), permet à la fois d’identifier les facteurs de risque habituels de lithiase (diurèse insuffisante, hypercalciu-rie, hyperoxalurie, hyperuraturie, hypoci-traturie) et un éventuel flux osseux sortant de calcium qui inciterait alors à réaliser une
osteodensitométrie. Ce dernier est sus-pecté 1) lorsqu’il existe une hypercalcémie et/ou des arguments pour une hyperpara-thyro?die primaire, 2) lorsque le rapport U calcium/U créatinine mesuré dans les urines à jeun (après une diète calcique de 48 heu-res) est supérieur à 0.3 mmol/mmol créati-nine ou lorsqu’il existe une augmentation des marqueurs biochimiques de remode-lage osseux. Une prise en charge rhuma-tologique en cas de confirmation d’une ostéopénie ou d’une ostéoporose semble alors souhaitable.
r La prise en charge rhumatologique sem-ble nécessaire en première intention chez les patients lithiasiques ayant des antécé-dents de fractures osseuses vertébrales (ou non) d’origine non traumatique.
Quel traitement ?
r La prévention primaire d’une ostéopé-nie chez le patient lithiasique consiste à prendre un laitage par repas et éviter tout régime pauvre en calcium. Le patient doit être informé de cette recommandation qui va à l’encontre d’un certain ? bon sens ? et être informé de son efficacité à la fois sur l’os et sur les récidives de lithiase (insister
sur le régime ? raisonnable ? en sel et en protéines animales).
r La prévention secondaire est un sujet de controverse et dépend des résultats des différents bilans effectués (hyperparathy-ro?die primaire…). Elle peut associer en plus du régime un traitement par thiazides, des biphosphonates et une optimisation du stock en 25OH D3.
Conflit d’intérêt
Aucun.
Références
[1] Melton LJ, Crowson CS, Khosla S, Wilson D, O’Fallon WM. Fracture risk among patients with urolithiasis: a population-based cohort study. Kid-ney Int 1998;53:459-64.
[2] Heilberg IP, Weisinger J.R. Bone disease in idiopathic hypercalciuria. Current Opin Nephrol Hypertens 2006;15:394-402.
[3] Vezzoli G, Rubinacci A, Bianchin C, Arcidi-acono T, Giambona S, Mignogna G et al. Am. J Kid-ney Dis 2003;42:117-83.
[4] Borghi L. Comparison of two diets for the pre-vention of recurrent stones in idiopathic hypercal-ciuria. N Engl J Med 2002;346:77-84.
[5] Bushinsky D A, Frick KK, Nehrke K. Genetic hypercalciuric stoen-forming rats. Current Opin
Nephrol Hypertens 2006;15:403-18.
Bilan sang Urines de 24 heures Créatininémie Créatinine Ionogramme sang Sodium HCO3Urée Uricémie Acide urique Calcémie Oxalates Phosphatémie (+/? Magnésium)Magnésémie (+/? citrates)Glycémie à jeun
ECBU (+/- pH)
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